Dans un entretien accordé à Électron Libre le 25 mars dernier, je prends position dans le débat européen après la publication du rapport de Julia Reda.
Extrait :
« La bataille européenne pour l’avenir de la culture et des industries de la création ne fait donc que commencer. »
“Electron Libre […] tant les Commissaires que la députée européenne du parti pirate, Mme Reda, expliquent que le droit d’auteur freine l’accès aux oeuvres dans l’espace numérique
Jean-Noël Tronc – L’affirmation centrale sur laquelle toute cette offensive repose, c’est que les « barrières nationales du droit d’auteur », pour citer le discours-programme de juillet 2014 du Président Jüncker, créeraient, dans le marché numérique, des obstacles rédhibitoires à l’accès du consommateur européen aux oeuvres culturelles et que celui-ci exprimerait un sentiment d’urgence face à cette situation.
Sincèrement, qui peut imaginer, si on interrogeait les citoyens européens, qu’ils répondraient que parmi les priorités pour l’Europe figurent « la modernisation du droit d’auteur » ? Le message sur l’urgence de lancer une « modernization of copyright » est martelé depuis des mois et tient lieu de programme politique européen pour la culture.
Avec le chômage massif, surtout chez les jeunes, la guerre aux portes de l’Europe, le déclin industriel, le défi environnemental, les dettes menaçantes des Etats, la crise d’identité, la montée des extrêmes, et j’en passe, qui peut croire que la « copyright modernization » constitue de près ou de loin un sujet d’intérêt pour nos compatriotes ? Et encore moins une priorité ou une urgence.
Un vrai sondage montrerait sans doute que les citoyens européens s’en fichent complètement, ce qui est plein de bon sens, parce que le droit d’auteur fonctionne très bien et que jamais le consommateur n’a eu accès à autant d’oeuvres culturelles.”
Lang
10 mai 2017 — 14 h 57 min
Jean-Noël Tronc a parfaitement raison: les prétextes évoqués par mme Réda et les euro-députés pour justifier l’instauration d’une véritable Loi d’exception (au sens littéral, au sens législatif et d’autant plus dans un domaine relevant d’un Droit de l’Homme) auront été d’une indigente inexactitude et d’une exemplaire mauvaise foi. Il faut rappeler que ce projet de directive ne se sera appuyé sur aucune étude d’impact, sur aucune analyse sérieuse du fonctionnement du Droit d’Auteur en Europe, ni sur aucune évaluation de son poids économique global! Il n’aura pas tenu compte, en outre, de la fonction essentielle des créateurs dans la construction de l’ Europe des cultures et de leur fidélité effective profonde à la cause européenne.
L’on peut noter à cette occasion la légèreté structurelle des procédures europénnes pour l’élaboration des directives, en absence ressentie de toute constitution fondatrice, de garde-fous institutionnels sérieux et disons-le, à l’écart de toute rigueur démocratique. Je m’étonne pour ma part que le GESAC, au nom de tous les ressortissants du Droit d’Auteur, n’ait pas tenté alors qu’il était encore temps une action juridique dans ce sens, pour irrégularités procédurales, question préjudicielle ou autres… Celà aurait sans doute ralenti l’ardeur prédatrice de nos adversaires et nous aurait surtout laissé le temps d’organiser non pas une défense commune, mais une contre-offensive collective cohérente.
Car on peut noter aussi que les eurodéputés n’auront pas évalué le poids politique des créateurs – alors que se faisait jour, déjà et malheureusement, un certain euroscepticisme- si ceux-ci devaient être poussés à manifester médiatiquement leur désillusion sur les pratiques européennes.
Alors, pourquoi la brutalité arrogante de cette attaque? N’y a-t-il pas d’autres raisons cachées pour justifier cette attaque létale contre le Droit d’Auteur? N’y a-t-il il pas une cohérence avec la honteuse Directive sur les Sociétés de Gestion Collectives, qui a osé assimiler les société les plus performantes du monde à des délinquants en liberté conditionnelle relevant du bracelet électronique ?
N’oublions pas que cette réforme de la dir. 2001/29 se situe dans le cadre de la réforme générale du numérique promise par Mr. Jüncker dès son entrée en fonction. Curieusement, elle en est la première, ce qui implique que ses dispositions prises sur le Droid’Auteur serviront de base à l’ensemble des réformes ultérieures du numérique.
L’on peut noter en effet que les 21 exceptions proposées par la députée du Parti Pirate Européen (choisie volontairement par les eurodéputés pour porter ce projet!) vident totalement la Loi sur le Droit d’Auteur de son objectif et de ses moyens de protection des oeuvres (ce qui qualifie effectivement une loi d’exception).
Or, dès janvier 2015, il était clair que ces exceptions demandées par un parti dont le programme est de supprimer le Droit d’Auteur, n’était que le copié/collé des demandes réitérées des bibliothèques scientifiques numérisées, qui partagent le même but depuis près de 15 ans. Le “London Manifesto” du 15 avril 2015 , qu’elles ont publié avec forte médiatisation en fournit la preuve éclatante.
Faut-rappeler que le numérique a ouvert des territoires virtuels libres de contraintes et d’encadrement sérieux, provoquant une véritable ruée vers l’or et une bataille sans merci pour la captation et l’appropriation de facto de toutes les données possibles, et l’accaparement pur et simple des plus-values générées par leur exploitation commerciale ?
C’est dans ce cadre de la guerre des données que se situe l’offensive de Mr. Jünker, car ce n’est pas le fonctionnement du droit d’auteur qui bloque les échanges, en effet, mais le concept même de la propriété de l’œuvre qui est considérée comme un obstacle à l’appropriation paisible par tous.
Ne voyez-vous pas que les noms des auteurs ont disparus des supports.? Que les sociétés d’auteurs, par obligation européenne, ne sont plus que des sociétés de gestion de droit (sans définir qu’il s’agit d’un droit d’auteur) ?
Ne voyez-vous pas que dans la directive réformant le Droit d’Auteur, comme dans la loi sur la république numérique, en France, il est suggéré que ce soit les auteurs eux-mêmes qui seraient invités à refuser le Droit d’Auteur?
Ne voyez-vous pas que dans le domaine de l’art contemporain, le concept porteur et officiellement reconnu aujourd’hui est celui de la mort conceptuelle de l’artiste et de l’œuvre elle-même, la fin de l’art autoproclamée, laissant libre champ aux quotes, c’est-à-dire aux exploitants/exploiteurs?
Ne voyez-vous pas que le concept de non-finitude, porté par l’exception d’œuvre transformative, ajoutée à l’extension du droit de citation et/ou à celui de parodie étendue, amènent immanquablement à mettre en cause la légitimité du concept d’Auteur et donc de celui d’Oeuvre? Amenant ainsi Le Droit D’Auteur en situation objective d’implosion programmée?
Ne croyez-vous pas qu’il est temps, si vous ne voulez pas être complice d’une pareille forfaiture, de changer de configuration et de passer à une offensive massive contre cette exécution organisée?
Sachant que l’on a trop tardé et que c’est le moment. Ou jamais.